Kein Licht, l’atome en folie par Jelinek, Manoury et Stemann
L’Opéra Comique et son directeur Olivier Mantei sortent des sentiers battus en commandant au compositeur Philippe Manoury un « work in progress » en forme de « thinkspiel ». On parle en pensant, on chante en jouant, il y a des musiciens, des chanteurs, des acteurs, une installation électronique et un décor avec vidéos et 3D, de quoi faire respirer en beauté le texte d’Elfriede Jelinek sur l’explosion atomique de Fukushima et les gloires et misère de l’atome. Avec Trump en épilogue !
L’Ircam et l’atome
Philippe Manoury est un compositeur poète et mathématicien, qui a développé un système de langage musical informatique en temps réel tout en composant et en enseignant à travers le monde. Le système se met en route avec Miller Puckette MAX-MSP, et continue sans l’aide de personne. C’est l’Autrichienne Elfriede Jelinek qui donne ici la trame ouverte de ce spectacle total, par l’intermédiaire du metteur en scène allemand Nicolas Stemann. Stemann et Manoury vont ainsi tisser la toile d’un spectacle ouvert, auquel on peut adjoindre des réflexions (de Manoury), des scènes écrites par Stemann et Benjamin von Blomberg son dramaturge, qui mêlent la catastrophe nucléaire et humaine de Fukushima en 2011 avec des considérations tragico-drôlatiques sur le nucléaire aujourd’hui, ce que l’on en fait en France et en Allemagne, qui achète aujourd’hui cette électricité « propre » à la France.
Le meilleur des mondes
Le spectacle prend donc la forme d’un joyeux délire philosophico-burlesque, bien que la trame textuelle, souvent obscure de Jelinek, n’est pas franchement drôle. C’est justement ce décalage entre les assertions justes mais dramatiques de Jelinek, sur les conséquences tragiques d’une telle catastrophe, le déni du gouvernement japonais concernant toutes ces questions, l’aveuglement nihiliste de l’homme du Nord à gaspiller sans compter l’électricité par tous les moyens, et le jeu joyeux, inventif, créatif des chanteurs et acteurs sur la scène qui en fait la saveur. Dès lors, pas question pour le metteur en scène de plonger la scène dans le noir de l’absurde.
Plein soleil
Il allume tous les projecteurs, fait jouer la machinerie comme Molière les machines de l’époque : mini-centrale nucléaire qui dégorge de l’eau verte, atomes géants en forme de suppositoires transparents qui glissent sur l’eau et dans lesquels Caroline Peters et Niels Bormann, acteurs fabuleux, se transportent; chanteurs transformés en sirène, puis en fées électricité jouant au volley avec des bulles d’uranium -Sarah Maria Sun, Olivia Vermeulen, Christina Dalestska et Lionel Peintre sont éblouissants. Ajoutez à cela un scénario catastrophe avec effets de réels -vidéos et photos pixelisées- mixées avec le plus burlesque des scénarios à la Monty Python, adresse au public, jeux de mots et blagues méchantes. Voilà une création terriblement actuelle, qui commence par Fukushima et aboutit à Trump et la Corée du Nord, et dont l’inventivité musicale et dramatique est une réussite totale. Quel bonheur d’intelligence et de fantaisie !
Hélène Kuttner
[Crédits Photos : © Vincent Pontet ]
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